Cinquième époque, 1872-1902

La fin du conflit avec la Prusse en 1871 provoque l’arrivée massive des militaires des armées de Terre et du département de la Marine au Bureau des longitudes. Ils sont d’autant plus présents qu’ils se voient confier la direction de quelques-unes des expéditions d’observations du passage de Vénus devant le disque du Soleil prévue pour le 9 décembre 1874 et qu’il faut préparer à l’avance.
 
Hervé Faye est nommé à la Présidence du Bureau et ne la quittera plus avant le début des années 1890, assurant une continuité sans équivalent de la direction et de la politique scientifique du Bureau en cette fin du XIXe siècle. Au cours de l’année 1872, Faye obtient l’élection de Maurice Loewy au Bureau des longitudes. Cet astronome d’origine viennoise, travaillant à l’observatoire de Paris depuis 1860 et qui a obtenu la naturalisation française en 1869, est chargé de la direction de la Connaissance des Temps ; il assurera sa tâche jusqu’à son décès en 1907.
 
Cette  cinquième époque voit le renforcement progressif de l’équipe des calculateurs et sa stabilisation. En outre, Faye et Loewy parviennent à obtenir du ministère de tutelle, l’Instruction publique, la création de quatre classes de calculateurs et d’un véritable « Service des calculs » par voie règlementaire en 1881.
 
Dès lors, les calculateurs peuvent progresser dans leur métier, qui devient une profession officiellement reconnue et réglementée. Un superviseur des calculs est nommé de manière interne. À Ulysse Bouchet succèdent Léopold Schulhof, que Loewy avait amené de Vienne dans ses bagages, puis les calculateurs principaux Henry-Eumène Roche et Rocques-Desvallées. L’équipe se stabilise à une dizaine de calculateurs titulaires et quelques auxiliaires, dont les deux premières femmes calculatrices du Bureau : Madame Domer et Madame Schmid (née Zoé-Louise Seillier), femme de Maurice Schmid, calculateur du Bureau.
 
La Connaissance des Temps retrouve un délai de livraison de 18 mois à l’avance qui n’était que peu ou pas assuré au cours des années 1860. Les contenus de la Connaissance des Temps témoignent d’évolutions scientifiques accompagnées ou initiées par le Bureau des longitudes [4]: tables des planètes construites sur les développements de Le Verrier, nouvelle théorie de la Lune de 5 Delaunay (mécanique céleste et méthodes de navigation), opérations géodésiques internationales (par Yvon-Villarceau), déterminations de méridiennes et raccordements en longitude de différents observatoires dans le monde (par l’officier de l’armée de terre François Perrier et les officiers de marine), accompagnement d’explorations coloniales, transferts de compétences de l’astronomie vers la géographie (Antoine d’Abbadie et les officiers de marine du Bureau), formation d’explorateurs coloniaux (Amiral Mouchez à l’observatoire de Montsouris et Charles Trépied à l’observatoire d’Alger, notamment).
 
Dans les années 1880, la Connaissance des Temps atteint près de 1000 pages et se pose le problème de sa diffusion auprès d’un public ciblé, celui des navigateurs. Sous l’impulsion du professeur de navigation et officier de l’École navale à Brest, Émile Guyou (futur membre du Bureau, de l’Académie des sciences et directeur de l’observatoire du Bureau au parc Montsouris) et du ministère de la Marine (comme en 1785), le Bureau doit former le projet de publier un volume court à destination des capitaines du commerce, vendu au moindre coût et au contenu adapté.
 
Ce sera l’Extrait de la Connaissance de temps à destination des capitaines du commerce et des écoles d’hydrographie, publié pour l’année 1889 au début de l’année 1887 et dirigé à ses débuts par l’officier de marine Jean-Jacques Bouquet de la Grye. Cet Extrait deviendra plus tard les Éphémérides nautiques toujours publiées actuellement.  Mais de nouvelles méthodes de navigation voient le jour (la méthode de la droite de hauteur, déclinée sous diverses formes et censée donner simultanément latitude et longitude à moindres calculs) et rendent la méthode des distances lunaires obsolète. Tous les rapports et audits auprès de la marine du commerce, en France comme à l’étranger, montrent que cette méthode est peu employée en dehors des flottes de guerre…
 
Aussi après la Conférence internationale des étoiles fondamentales, rassemblant les directeurs des principales éphémérides mondiales, organisée par le Bureau à Paris en 1896[5], les tables des distances lunaires vont progressivement disparaître des éphémérides.
 
Le Bureau prend la décision au cours de l’année 1901 et les distances lunaires disparaissent à partir de la Connaissance des Temps pour 1905 (livrée à Paris en août 1902)[6].  C’est la fin de la Connaissance des Temps comme almanach nautique.

 


[4] Dont la sous exploitée collection des treize volumes des Annales du Bureau des longitudes (1877-1949) témoigne largement (Lien BNF-Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32694358n/date ).

[5] Annales du Bureau des longitudes, 1897, tome V, Paris,  Gauthier-Villars, p. D1-D90.

[6] Le retrait des distances lunaires sera effectif dans le Nautical Almanac pour 1907 (Londres, 1904), et dans The American Ephemeris and Nautical Almanac pour 1912 (Washington, 1909).