Schulhof, Léopold (Lipòt)
Né à Baja (Hongrie) le 12 mars 1847
Mort à Paris le 10 octobre 1921
Une carrière d’astronome et de « superviseur » des calculs pour Loewy et Andoyer.
Le parcours de Schulhof est beaucoup plus classique que nombre des précédents présentés ici. Astronome formé à Vienne, juif, il est appelé à Paris par Loewy en 1875, et gagne le respect académique avec des travaux remarqués et primés. Il progresse très vite comme calculateur principal et superviseur des calculs de la CDT qui dès lors reposent presque entièrement sur ses épaules jusqu’à son départ à la retraite en 1915. Il travaille et publie beaucoup. Léopold Schulhof est un astronome et mécanicien céleste complet, admiré et respecté par ses pairs.
Léopold Schulhof est né en 1847 à Baja, en Hongrie, fils d’un rabbin pauvre. Malgré les pires difficultés matérielles, son père parvint à lui faire donner une solide éducation classique et scientifique. Il se destine d’abord à la médecine, dont il commença l’étude ; mais, attiré par l’astronomie, il entre presque aussitôt à l’observatoire de Vienne où il est successivement élève (avril 1869), second assistant (mai 1871) et premier assistant (juillet 1873) ; c’est là qu’il fait diverses observations d’étoiles variables, de planètes, de comètes, etc., et qu’il découvre, le 10 juillet 1875, la petite planète (147) Protogeneia. Il travaille également au Bureau géodésique sous la direction d’Oppolzer. Mais l’état de sa vue l’incite rapidement à quitter l’observation pour se consacrer à la théorie et aux calculs. Loewy qui se trouvait chargé des calculs de la Connaissance des Temps, fait appel au concours de Schulhof qui devient calculateur du Bureau des longitudes le 1er novembre 1875. Il fut autorisé à établir son domicile en France par décret en date du 14 octobre 1880 et naturalisé français le 2 décembre 18841.
S’il est élu membre de l’Académie des sciences de Hongrie, sa carrière se déroule presque toute entière en France, au Bureau des longitudes où il gravit tous les échelons.
Il débute comme auxiliaire en novembre 1875. En 1876, les états de paiement du ministère de l’Instruction publique indiquent qu’il est payé 2 francs l’heure de calcul. En juillet 1877 il devient calculateur titulaire à 3500 francs placé sous la direction d’Ulysse Bouchet, aux côtés d’Henri-Eumène Roche.
Avec l’arrêté ministériel de reconnaissance officielle du « Service des calculs » du 29 janvier 1881 et la création de classes de calculateurs, Léopold Schulhof est promu à la 1ère classe et payé 5000 francs (les membres titulaires du Bureau reçoivent alors 8000 francs) ; le différentiel se réduit un peu entre les membres titulaires du Bureau et les calculateurs de la CDT (Roche est calculateur de 2e classe, Rocques-Desvallées entre comme calculateur auxiliaire). Ulysse Bouchet décède le 24 novembre 1883 et Schulhof le remplace comme calculateur principal et superviseur ; il conservera cette position jusqu’à son départ à la retraite le 1er janvier 1915. Son traitement augmente et passe à 6500 francs en 1893, montant que l’on retrouve en 1909 (voir annexe 1 pour un comparatif du montant des salaires des calculateurs de la CDT). Schulhof est entre 1881 et 1915 la dorsale de la CDT sur laquelle Maurice Loewy peut s’appuyer ; mais Schulhof dispose aussi de seconds solides, méconnus, Henri-Eumène Roche et Henri Rocques-Desvallées qui permettent au service des calculs du Bureau des longitudes d’accompagner sereinement l’internationalisation des éphémérides à partir de la Conférence internationale des étoiles fondamentales de 1896 à Paris2 qui unifie les constantes astronomiques fondamentales ; celle des Éphémérides astronomiques de 1911 (toujours à Paris3) qui prend des dispositions concernant les méridiens fondamentaux et le temps astronomique. Cette équipe accompagne l’abandon inévitable des tables des distances lunaires pour toutes les éphémérides astronomiques entre 1903 (pour la CDT) et 1912 (pour The American Ephemeris and Nautical Almanac).
Un des premiers travaux qui établirent la réputation astronomique de Schulhof fut le mémoire qu’il présenta à l’Académie des sciences pour le concours du prix Vaillant de 1877. Un certain nombre d’astéroïdes, insuffisamment observés lors de leur découverte, n’avaient pu être retrouvés lors des oppositions suivantes. On admettait que l’incertitude sur leur position augmentait avec le temps écoulé depuis leur découverte. Schulhof montra qu’il y a des époques où, après un nombre considérable d’années, il devient quelquefois possible de déterminer la place de l’astre avec plus de précision que dans les années qui ont suivi immédiatement la découverte. Par la suite, il concentra son activité sur les comètes. La production scientifique de Schulhof est importante4 ; plusieurs dizaines d’articles de fond sur des questions touchant divers domaines de l’astronomie. Il est l’un des auteurs les plus réguliers du Bulletin astronomique, périodique de l’Observatoire développé par Mouchez à partir de 18835 ; il publie dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences, pour la revue professionnelle de référence Astronomische Nachrichten, le Berliner Jahrbuch. Il publie aussi dans l’Annuaire du Bureau des longitudes de nombreuses notes sur les comètes 1800-1880. Pour ces travaux sur les éléments et les perturbations des comètes il est plusieurs fois primé (sept prix académiques au total) : prix Damoiseau en 1891 ; prix Lalande en 1893 et prix Wilde de 1902.
Il collabora longuement avec Rodolphe Radau (directeur de la CDT de 1906 à 1910) à l’achèvement des Tables de la Lune de Delaunay. Dès 1878 Tisserand lui avait confié la surveillance et le contrôle des calculs ; Schulhof facilite le travail en simplifiant des tables à 3 entrées conçues par Delaunay et qui rendaient le travail fastidieux. Pour ce travail il reçut les prix académiques Pontécoulant de 1911 et le prix Wilde de 1914 « pour tous les services qu’il a rendu à la science, à l’Académie et au Bureau des longitudes »6. Accessoirement, il entre à la Société Astronomique de France en 1900.
En 1909, Radau l’évalue ainsi : « M. Schulhof n’est pas seulement un calculateur hors ligne, d’une expérience consommée ; c’est aussi un savant de mérite, connu pour ses travaux personnels, plusieurs fois lauréat de l’Institut. Il est proposé depuis vingt-cinq ans, pour la Croix de la Légion d’honneur, et le Bureau regrette que cette proposition, si souvent renouvelée, n’ait pas encore été accueillie favorablement. »7
Lorsque Henri Andoyer devient directeur de la CDT en 1911, il charge Schulhof de la mise en place de nouveaux calculs relatifs aux satellites de Jupiter d’après les tables de Sampson8. De par son statut d’astronome (théoricien) actif et de superviseur zélé du Service des calculs, Schulhof est fait Chevalier de la Légion d’honneur le 25 août 19149.
On dispose d’une large correspondance échangée entre Schulhof et Andoyer, entre 1911 et 1915 qui n’a pas encore été exploitée10. Cette correspondance nous aide à mieux comprendre pourquoi les archives restent muettes sur les procédures effectives du Service des calculs. En effet, en 1911, alors qu’Andoyer cherche à retrouver une erreur qui s’est glissée dans le calcul des tables du Soleil publiées dans la Connaissance des temps, Schulhof lui répond :
« [Monsieur le directeur] …je n’ai pu reconnaître dans les calculs faits en 1881 dont je ne retrouve que la partie qui concerne les latitudes… Pour le reste, M. Roques Desvallées n’a retrouvé que les interpolations pour les latitudes de 0° à 33°. Je ne peux donc plus savoir si les calculs avaient été faits d’après les mêmes formules compliquées que celles que j’ai employées pour les latitudes de 52° à 60° et qu’il m’a fallu reconstituer […] »11
Et plus loin : « Malheureusement, M. Roques Desvallées ne conserve jamais, faute d’emplacement suffisant, assez longtemps, les calculs du Bureau [des calculs]… »
À cause de la non conservation des calculs depuis la supervision d’Ulysse Bouchet (à une époque où le Bureau était sans locaux fixes et devait trouver de la place…) cette mémoire perdue pose un problème scientifique. Schulhof reprend les calculs de 1894 et précise : « Mais en 1894, une autre source d’erreur a été introduite et cela probablement à la suite de la non conservation des calculs exécutés en 1881 »12.
Après sa mise à la retraite le 1er janvier 1915, Schulhof contribue encore largement aux travaux du Bureau, notamment à la bibliothèque de l’Observatoire où il fréquente assidûment Guillaume Bigourdan — qui sera son principal biographe —, mais aussi auprès d’Andoyer auprès duquel il sert de référent et de mémoire vivante du Service des Calculs13.
En novembre 1920, il fait une mauvaise chute en quittant cette bibliothèque ce qui le conduit progressivement à une paralysie totale des jambes en mars 1921. Il meurt à Paris, le 10 octobre 1921, d’une crise d’urémie. Son nom a été donné à une petite planète : (2384) Schulhof, découverte en 1943, à Nice, par Marguerite Laugier.
1. Attestation figurant dans le dossier de Légion d’honneur LH/2487/6 : sa femme « dame Rosette Peltashon » était née à Ostrowo (Pologne allemande) en décembre 1847.
2. Conférence du 18 au 20 mai 1896. Voir supra.
3. Conférence du 23 au 26 octobre 1911. Voir supra.
4. On compte près de 78 entrées en langue allemande d’observations, de comptes rendus d’éphémérides et de calculs d’éléments de comètes par Schulhof dans sa période viennoise entre 1870 et 1876 dans la base de données en ligne ADS NASA (www.adsabs.harvard.edu ). Jusqu’à son décès en 1921, la base de données ADS donne 212 entrées correspondant à des publications de Schulhof en astronomie, observations et calculs de comètes et de mécanique céleste.
5. D’autres calculateurs de la CDT publient dans le Bulletin astronomique : J. J. Coniel (éphémérides et éléments de petites planètes) et Bossert (éléments de comètes). Voir Arnaud Cazal, 2015, Le Bulletin astronomique (1884-1918), Mémoire de Master 2 Histoire des sciences et des techniques, Centre François Viète, Université de Nantes.
6. Prix Wilde, CRAS, 1914, tome 159/2 (juillet-décembre), p. 926. Prix de 2000 francs partagé avec Perrier de la Bâthie, naturaliste (3000 francs).
7. Dossier personnel Schulhof, Archives non publiques du BDL, Institut de France, note du 19 mai 1909.
8. Ralph A. Sampson, 1896, Tables of the four great satellites of Jupiter, Durham University Observatory ; réed. 1910, London, John Wiley for the observatory. H. Andoyer, 1915, « Sur le calcul des éphémérides des quatre anciens satellites de Jupiter », Bull. astr. Vol. 32, p. 177-224 ; hommage y est rendu à Léopold Schulhof.
9. Base LEONORE : dossier LH/2487/6. L’une de ses deux filles, Catherine-Rosalie Schulhof, née le 10 avril 1885, professeure agrégée au Lycée Fénelon est Chevalier de la Légion d’honneur en 1938 puis Officier le 10 février 1951 (LH19800035/44884). Il en va certainement de même avec l’un de ses deux fils, Paul-Samuel né en 1883 (dossier non communicable).
10. M. Chapront, 2011, Correspondance d’Henri Andoyer, chargé de la rédaction de la Connaissance des temps (1911-1918), inventaire, Bibliothèque de l’observatoire de Paris (BOP, Ms 1132 ; plusieurs cartons).
11. BOP, Ms 1132, « Papiers Andoyer », 1916, pièce 1, lettre de Schulhof à Andoyer, Paris, 5 avril 1911.
12. BOP, Ms 1132, « Papiers Andoyer », 1916, pièce 2, lettre de Schulhof à Andoyer, Paris, 7 avril 1911.
13. Voir BOP, Ms 1132, « Papiers Andoyer », 1918, pièce 137, lettre de Schulhof à Andoyer, Paris, 23 mai 1918 sur les tables du Soleil de Le Verrier et des appréciations sur divers calculateurs du Service des calculs (Coniel, Masson, Gutesmann).
Citation du texte: Guy Boistel , “Schulhof, Léopold (Lipòt),” La connaissance des temps, consulté le 6 octobre 2024, https://cdt.imcce.fr/items/show/801.