Schmid, Zoé-Louise
née Seillier
Née le 1853
Morte le 1933
Elle est calculatrice auxiliaire de 1884 à 1909. Elle est promue en interne à la 3e classe en 1909 mais cette promotion est refusée par le ministère en raison « de son grand-âge » ; elle a déjà dépassé l’âge légal de la retraite, 62 ans à cette époque. Le Bureau décide de la nommer « calculatrice temporaire avec avancement » ; ce sera son titre inofficiel, de 1909 jusqu’à 1933. « Madame Veuve Schmid » fait preuve d’une solide santé et d’irremplaçables compétences pour le Bureau des calculs qui aura bien du mal à la laisser quitter le service…
Les deux principales sources permettant de connaître le parcours de cette femme sont d’une part un article paru dans le journal Le Matin en 1910 et d’autre part, une lettre de Henri Poincaré, alors Président du Bureau, adressée au ministre, le 5 janvier 1911.
Madame Schmid remplit parfaitement ses tâches puisque sur proposition du Bureau, elle reçoit les palmes d'officier d'Académie, sa première décoration honorifique en novembre 19021. Puis Madame Schmid est faite officier de l’Instruction Publique en 1910, et cela fait du bruit dans la presse ! On en trouve des échos dans le Le Matin : derniers télégrammes de la Nuit, à la date du 5 janvier 1910 :
« PROPOS D'UN PARISIEN - Parmi les officiers de l’instruction publique ou d’académie du récent mouvement, on a cité de nombreuses chanteuses, comédiennes ou ballerines. N’est-il pas juste de relever aussi, dans la liste des nouvelles titulaires de la rosette violette, cette mention « Mme Schmid, née Seillier (Zoé-Louise), calculatrice au Bureau des longitudes » ? Sans doute, cette rosette avait été promise à une danseuse ; ce fut une calculatrice qui l’obtint. Cela fera plaisir à Beaumarchais. Si tu te maries, disent les mamans à leur fils, tâche de trouver une femme qui sache compter. Heureux M. Schmid Les dieux lui ont donné une calculatrice. Ah, épouser une calculatrice, une femme qui a l’habitude des chiffres tyranniques et implacables. Mais justement il est à craindre ceci dit d’une façon générale et sans mettre en doute les qualités ménagères de Mme Schmid qu’une calculatrice professionnelle se refuse, rentrée chez elle, à calculer.
Esprits faux qui n’admettez pas qu’une femme puisse soumettre son esprit aux lois sévères des mathématiques et qui, en fait de calculs, ne la croyez capable que de multiplier, sachez donc que Mme Schmid jongle du matin au soir avec les chiffres, mais soyez sûrs qu’elle n'a jamais apporté chez les siens la moindre division.
Des amateurs de sensations rares rêveront de filer le parfait amour avec une calculatrice au Bureau des longitudes. Un psychologue nous dira-t-il à quoi rêvent les calculatrices ? Mais ces femmes, sans cesse penchées sur des calculs effroyablement arides et compliqués, ont sans doute des âmes plus simples, plus sentimentales que bien de leurs semblables qui n’ont jamais su que deux est deux font quatre. »
En fait, malgré ses accents mysogines, un bien bel hommage aux talents de Zoé-Louise Schmid…
Dans sa lettre au ministre, le 5 janvier 1911, Poincaré propose une sorte de jeu de chaises musicales parmi les calculateurs de 3e classe pour assurer à Armandine Vaudein, calculatrice expérimentée venant de l’observatoire de Toulouse, une place dans le Bureau des calculs du BDL. Poincaré demande des promotions parmi les calculateurs :
« Il me reste une dernière demande à vous adresser en faveur de Madame Schmid, dont il paraîtrait juste de porter l’indemnité de 2700 à 3000 francs. Cette dame que vous avez bien voulu nommer le 1er janvier 1909 calculatrice temporaire parce que, à cause de son âge, elle ne pouvait être titularisée, a vu son gain décroitre d’une façon très notable par suite de la diminution du prix de l’heure de calcul, qui est de 1,f25 actuellement au lieu de 1,f60. Entrée au bureau en janvier 1884 elle est un de nos plus anciens calculateurs, son zèle ne s’est jamais démenti et elle a toujours effectué les travaux qui lui ont été confiés avec le plus grand soin. »
Elle bénéficie de régulières augmentations de son traitement pour passer à 1,60f l’heure de calcul au décès de son mari en 1906. Elle reçoit aussi régulièrement les félicitations du Bureau pour son implication. En 1919, son traitement annuel passe à 4100 francs, ce qui représente l’équivalent de près de 2563 heures de calculs2 (à cette époque, le travail annuel a été fixé à 2100 heures de travail pour les calculateurs du Bureau).
Il est assez difficile de distinguer la suite de son parcours et la date de son retrait effectif. Mais il semble que sa cessation d’activité survienne en 1933 après que Madame a été poussée par le ministère à prendre sa retraite. Lors de la séance du 13 juillet 1932, le Bureau pose une première fois la question de la retraite de Madame Schmid : « Une décision ministérielle vient de mettre à la retraite Mme Schmitt (sic) celle-ci non titularisée et n’ayant jamais subi de retenue, n’a droit à aucune pension ; on sollicitera M. le Ministre de maintenir l’intéressée dans son emploi de calculatrice auxiliaire. »
Le 26 octobre 1932, son cas est de nouveau examiné :
« Mme Schmitt (sic), calculateur non titularisée et actuellement âgée de plus de 80 ans, a été relevée de son emploi, sans aucune retraite et il a été impossible d’obtenir son maintien. Cette personne ayant effectué, en 1932, environ 3000 fr de calculs, non encore payés, le Bureau veut bien décider, sur la proposition de M. Fayet, que la somme due à Madame Schmitt sera prélevée sur les disponibilités que peuvent présenter les divers chapitres. »
Le 9 novembre, le Bureau s’inquiète de l’absence de la pension de Mme Schmid :
« M. Fayet appelle la bienveillante attention du Bureau sur la situation de Mme Schmitt (sic), calculatrice auxiliaire depuis 50 ans qui, à l’âge de 80 ans vient de se voir privée de son emploi, sans avis officiel et sans aucune retraite. Le Bureau charge M. Fayet d’examiner les mesures qu’il serait possible de prendre en faveur de l’intéressée et de faire des propositions lors de la prochaine Séance. »
Puis le 16 novembre suivant :
« Le Bureau décide d’écrire à M. le Ministre pour solliciter, en faveur de Madame Schmid, le maintien dans son emploi de calculatrice auxiliaire ou tout au moins, si ce maintien est impossible par raison d’économie budgétaire, l’attribution d’un secours annuel. »
Demande des secours que le ministre approuve le 7 décembre 1932 :
« Le Président donne lecture d’une lettre du Ministre de l’Éducation Nationale3 qui accorde l’autorisation de maintenir provisoirement en service Mme Schmid, calculatrice auxiliaire au Bureau des Longitudes. »
Madame Schmid, âgée de plus de 80 ans, figure encore dans les états des calculateurs en 1933, année de son retrait définitif de sa carrière de calculatrice auxiliaire temporaire, soit après 50 ans de carrière, la troisième des carrières les plus longues connues chez les calculateurs du Bureau des longitudes !
1. PV BDL des 11 juin, 23 juillet, et 12 novembre 1902.
2. PV BDL, 18 juin 1919. Notons qu’à raison de 7 heures de travail quotidien dans une année sans jour de repos, le total des heures s’élève à 2555 heures ; on reste sans voix devant la force de travail de Madame Schmid !
3. Le changement de nom du ministère de l’Instruction publique en ministère de l’Éducation nationale s’opère sous le gouvernement d’Édouard Herriot, par le décret du 3 juin 1932. Voir Muller Pierre-Eugène, 1999, « De l'instruction publique à l'éducation nationale », Mots, n°61, décembre 1999, in L'École en débats, Marie-Anne Paveau et Pierre-Eugène Muller (dir.), 149-156.
Citation du texte: Guy Boistel
, “Schmid, Zoé-Louise
née Seillier,” La connaissance des temps, consulté le 21 novembre 2024, https://cdt.imcce.fr/items/show/800.