3. Jean-Dominique Cassini et la mesure de la réfraction solaire à la grande ligne méridienne de San Petronio

En 1662, Jean Dominique Cassini (1615-1712), astronome à l’université de Bologne, va donner à la réfraction astronomique sa première théorie. On ne peut dire exactement dans quelle mesure il a été influencé par les diverses conceptions de ses prédécesseurs, toutefois ses mesures de la hauteur du Soleil à la grande ligne méridienne de l’église San Petronio, qu’il a restaurée quelques années auparavant, ne s’accordent pas avec une réfraction nulle au-dessus de 45° comme l’affirmait Tycho Brahé.

Cassini détermine les réfractions de façon classique, tout d’abord en se conformant à l’usage (depuis Tycho Brahé) qui voulait qu’il n’eût point de réfraction stellaire au-delà de 20°. Si la hauteur du pôle est déterminée de façon classique, il suffit alors pour connaître la réfraction à l’horizon ρ(0°) de choisir une étoile dont la culmination basse apparente se fera sur l’horizon. À la culmination haute sur le méridien, l’étoile sera alors proche du zénith de sorte que l’on peut y négliger l’effet de la réfraction dans un premier temps. Sa mesure de hauteur α donne immédiatement la réfraction à l’horizon selon la figure 2.

Ce faisant, Cassini commet une erreur car le pôle vrai est lui aussi affecté d’une réfraction. En la supposant égale à 1ʹ à 45° de hauteur – qui est pratiquement la latitude de San Petronio - , cela revient à corriger la réfraction à l’horizon de 2ʹ. Cassini parvint ainsi à réconcilier sa théorie solaire avec les observations faites à San Petronio.

Fig.2 : Principe de détermination de la réfraction à l’horizon

Cette méthode est plus sûre que la méthode des azimuts qui suppose connue la déclinaison du Soleil et donc admet un préalable sur la théorie du Soleil mais aussi requiert l’usage d’une horloge suffisamment précise[1]. Tycho Brahé l’avait utilisée avec un quadrant altazimuthal mais la précision de ces mesures n’était pas meilleure que 2ʹ. On peut ainsi déterminer la réfraction pour chaque degré de hauteur en choisissant des étoiles situées à différentes distances du zénith.

Ceci vaut pour les étoiles mais non pour le Soleil car alors les observations de hauteur apparente sont affectées d’un autre effet, vertical lui aussi, celui de la parallaxe qui tend à abaisser la position vraie. Tycho Brahé supposait une parallaxe[2] horizontale du Soleil 20 fois trop élevée, de près de 3ʹ. Il compensait cet effet par une augmentation équivalente, de 3ʹ, de la réfraction à l’horizon ρ(0°). Comme il avait le même problème à des hauteurs plus élevées, il consentit à affecter le Soleil d’une réfraction jusqu’à des hauteurs de 45°.

En 1656, Cassini déclara que la parallaxe solaire ne pouvait excéder 12", condition pour laquelle sa théorie solaire présentait un bon accord avec les mesures faites à San Petronio. Toutefois, il découvrit ensuite que sa théorie solaire était en contradiction avec la hauteur du pôle qu’il avait déterminée l’année précédente avec un écart de plus de 2ʹ dont il trouva l’explication en affectant une réfraction de 1ʹ à 45° de hauteur comme on l’a vu précédemment. Toute théorie solaire étant bâtie à partir d’observations corrigées des effets de la réfraction et de la parallaxe, il s’ensuit un jeu circulaire complexe où il s’agit d’accorder simultanément les paramètres (de réfraction et de parallaxe) avec une théorie solaire. Il y avait donc une confrontation permanente entre l’observation et la théorie. Riccioli s’en était sorti en adoptant trois tables de réfraction, l’une valable pour l’été, la deuxième pour l’hiver et la troisième aux équinoxes[3]. La grande méridienne de San Petronio, par sa précision inégalée jusqu’alors, devait véritablement mettre à l’épreuve ces différents acteurs de la scène qu’ils nous jouaient. 

Cassini calcula ensuite comme Riccioli, son maître, trois tables de réfraction pour les éphémérides de 1662. Seule la table de l’été était établie sur la base d’une parallaxe solaire inférieure à 12". Cependant à l’opposé de Riccioli qui avait attribué une réfraction à chaque degré de hauteur, Cassini calcula les réfractions stellaires en s’appuyant sur la loi de Snell-Descartes (1637) appliquée à l’atmosphère. Par la suite Cassini se passera de ces trois tables pour n’en proposer qu’une seule dérivée de son formulaire unique. Les trois tables avaient cependant l’avantage de tenir compte des variations de densité de l’air en fonction de la température et de la pression. Les idées de Cassini sur la réfraction et la parallaxe solaire trouvèrent confirmation quelques années plus tard, en 1672, lors de la grande opposition périhélique de Mars. Pour cette occasion, une expédition dirigée par Richer fut envoyée à Cayenne près de l’équateur.

La Table des réfractions fait son apparition pour la première fois dans la Connaissance des Temps pour 1680. La réfraction horizontale est posée égale à 30′ (31′ à partir de 1684) et les réfractions ne sont pas données au-delà de 45° de hauteur, hauteur pour laquelle elle est donnée égale à 1′. Elles ne s’appliquent qu’au Soleil. Il s’agit donc des réfractions de Tycho Brahé et non encore celles de Cassini. C’est à partir de 1686 qu’une table complète est donnée sur l’ensemble des distances zénithales variant de 0° à 90° et indépendamment du Soleil. Les réfractions pour des distances zénithales[4] inférieures à 45° sont celles de Cassini mais au-delà ce sont toujours celles de Tycho Brahé, en particulier pour la réfraction à l’horizon qui reste égale à 31′ au lieu d’être de 32′20ʺ comme donné dans la Table de Cassini. Ce n’est qu’en 1689 que la Table de Cassini est adoptée dans son intégralité. Il est curieux de noter que la précision est de 1′ pour les distances zénithales supérieures à 45° - et donnée pour chaque degré de distance zénithale jusqu’à 9° de hauteur - et qu’en dessous,  la valeur est donnée seulement pour 5 valeurs de la distance zénithale. La précision de ces Tables passera à 1ʺ à partir de 1702.



[1] La méthode des azimuts fut utilisée plus tard par Picard puis par Lacaille en 1751. A l’époque de Cassini, les horloges n’avaient pas encore la précision que leur a conféré plus tard Huygens dans son Horologium oscillatorium publié en 1673.

[2] La parallaxe horizontale du Soleil est l’angle sous lequel est vu un demi diamètre de la Terre depuis le centre du Soleil.

[3] Remarquons toutefois que Picard avait trouvé en 1669 que les réfractions étaient plus grandes en hiver qu’en été de même qu’elles étaient plus grandes la nuit que le jour, de là à conclure que lorsque la densité de l’air variait les réfractions en faisaient tout autant.

[4] La distance zénithale d’un astre est l’angle que forme la direction de l’astre avec la verticale du lieu. Elle est donc complémentaire à l’angle droit de la hauteur de l’astre.

Fig.3 : Evolution des Tables des réfractions de la Connaissance des Temps entre 1685 et 1702