3. Traité d’astronomie pratique. L’exposition du calcul des éphémérides, par Abel Souchon (1883)

Au catalogue de la Maison Gauthier-Villars en 1911, cet ouvrage est vendu 15 francs, ce qui est très cher et réduit sans doute la diffusion de ce traité.

Nous n’avons pas de portrait d’Abel Souchon.

 

 

 

Fig.5 : Le Traité d’astronomie pratique d’Abel Souchon (1883) et la dédicace à Charles-Eugène Delaunay. [Online : https://core.ac.uk/reader/50565140 ]

L’auteur et ses motivations

Abel Souchoni est né à Toulouse en juillet 1841. Il entre comme auxiliaire à l’observatoire de Paris en 1872, il est nommé aide-astronome en 1874. Le Verrier écrivait au ministre à son sujet le 17 août 1874 :

« Monsieur Souchon est un aide-astronome nommé tout récemment mais dont on n’a rien pu tirer depuis que sa position a eu la garantie ministérielle. Il s’est classé immédiatement parmi ces fonctionnaires récalcitrants et paresseux qui se croient indépendants dès qu’ils ont une nomination officielle […] J’ai l’honneur de vous proposer [de frapper] son traitement d’une retenue de deux jours par chaque jour d’absence à partir du 27 juillet dernier. »

Souchon quitte alors l’Observatoire pour entrer au Bureau des longitudes où il est élu adjoint le 1er juillet 1875, chargé des calculs de la Connaissance des temps et de l’encadrement scientifique à l’observatoire de Montsouris.  Ses débuts sont difficiles sur deux plans : contesté par Maurice Loewy pour les calculs de la CDT d’une part, puis par Ernest Mouchez pour ne pas remplir assez bien ses fonctions d’assistant à Montsouris… Après quelques rappels à l’ordre plus ou moins sévères, Souchon finit par satisfaire à peu près le Bureau tout en prenant quelques libertés avec ses obligations de service :

« M. Loewy en parlant de la Connaissance des Temps et répondant à l'interpellation du Président sur l'avancement de la Connaissance des temps dit que le travail est en retard, parce que M. Souchon ne met pas d'activité dans son travail, qu'il lui en fait l'observation plusieurs fois, mais qu'il n'en tient aucun compte. »ii

Le 9 octobre 1882, le Bureau reçoit des « Mémoires pour servir à l'histoire de l'astronomie pratique, par M. Souchon, membre adjoint du Bureau des longitudes » sans autres commentaires ou remerciements. En 1883, Abel Souchon publie son Traité d’astronomie pratique contenant l’exposition du calcul des éphémérides. Ce n’est pas une commande du Bureau des longitudes qui, à cette époque, est davantage préoccupé par des problèmes de discipline avec son adjoint. Pourtant, cet ouvrage tombe à pic, le Bureau ayant en 1881 officiellement obtenu de son ministère de tutelle, celui de l’Instruction publique, la reconnaissance d’un « Service des calculs » et les conditions d’un début de professionnalisation/fonctionnarisation de ses calculateurs. Souchon règle donc seul et de son côté l’impression de son ouvrage par Gauthier-Villars, l’imprimeur officiel du Bureau des longitudes. Admirons le paradoxe.

L’ouvrage de Souchon est donc publié à un moment où le volume de la CDT explose et atteint bientôt 1000 pages, où le « Service des calculs » est officialisé et les calculateurs du Bureau progressivement titularisés dans l’optique de réduire le recours aux calculateurs auxiliaires, temporaires ou journaliers. Attaché à la rédaction de la CDT, Souchon remplit mollement ses obligations laissant le champ libre aux calculateurs de réputation grandissante au sein du Bureau, Léopold Schulhof, Henri-Eumène Roche et Henri Rocques-Desvalléesiii.

Enfin cet ouvrage est publié dans un contexte d’une nouvelle contestation publique de la qualité de la Connaissance des temps prononcée par le célèbre astronome Otto Struve, de passage à Paris devant l’Assemblée de la Société de Géographie de Paris durant l’année 1875. C’est l’ingénieur-hydrographe Adrien Germain (1837-1895) qui prend la défense des éphémérides — ce « bréviaire pour les astronomes et les marins » — et remet les choses à plativ.

Composition de l’ouvrage et principaux contenus

L’ouvrage est dédié à Charles Delaunay, que Souchon semble beaucoup regretter. Le volume complet occupe 395 pages sur du papier assez épais. Le Traité de Souchon est à nouveau un ouvrage écrit par un des calculateurs de la CDT après celui de Lalande de 1762. Francœur en était seulement un utilisateur et un promoteur.

Souchon l’adresse « aux élèves des observatoires, aux calculateurs d’éphémérides et aux marins ; mais il pourra être lu avec fruit par toutes les personnes qui voudront se familiariser avec les méthodes et les calculs de l’astronomie pratique […] »v.

Il s’ouvre avec une « Introduction historique » d’une petite centaine de pages. Le traité en lui-même est composé de cinq parties :

Première partie (1-70) : Correction des positions célestes.

Les coordonnées célestes et leurs conversions ; calcul logarithmique et trigonométrie sphérique ; calcul de la réfraction ; calcul des parallaxes, nutation, aberration.

Deuxième partie (71-185) : Construction des éphémérides.

Les calendriers et l’Annuaire ; éphémérides du Soleil ; éphémérides héliocentriques et géocentriques  des planètes ; éphémérides de la Lune ; positions apparentes des étoiles ; distances lunaires.

Troisième partie (187-307) : Prédictions des phénomènes astronomiques.

Prédictions des éclipses des satellites de Jupiter ; prédictions des éclipses de Lune et de Soleil ; occultations des étoiles par la Lune ou les planètes ; les marées ; passages de Vénus ou de Mercure devant le disque du Soleil ; configurations de l’anneau de Saturne.

Quatrième partie (309-353) : Résumé des formules contenues dans les parties II et III.

Compilation ordonnée de toutes les formules pratiques pour les calculs présentés dans les parties précédentes.

Cinquième partie (355-395) : Tables numériques destinées à faciliter le calcul des éphémérides.

Souchon donne des tables de réfraction, parallaxe, demi-diamètres du Soleil et de la Lune ; conversions de temps ; interpolations etc. Toutes les tables secondaires employées alors dans les calculs astronomiques qui figurent aussi dans la CDT. Plusieurs tables sont dues à Léopold Schulhof, alors calculateur principal.

Pour Souchon, les parties II et III constituent le cœur de l’ouvrage et les matières y sont présentées comme dans les éphémérides.

Plutôt que d’apporter un jugement tardif sur cet ouvrage, laissons des contemporains le faire à notre place.

Une lecture officielle du traité de Souchon par le directeur du Nautical Almanac : un commentaire élogieux.

La recension en est faite par Arthur Matthew W. Downing, le superintendent du Nautical almanac, dans The Observatory (1885, vol. 8, n°102, 329-330) et rapportée dans le Bulletin astronomique (1885, tome II, 538) de manière très courte comme suit : « La conclusion de M. Downing est que le livre de M. Souchon est un livre d’une réelle valeur, qui vient heureusement combler une lacune dans la littérature astronomique. »

Que dit Downing du Traité d’Abel Souchon ? Downing apprécie sa partie historique mais il juge que l’importance relative des tables est insuffisante et que la discussion sur les catalogues stellaires n’est pas à jour ; elle se limite trop aux publications du Bureau des longitudes selon Downing. Viennent ensuite les différentes parties techniques du calcul astronomique et Downing regrette la part réduite consacrée au Nautical Almanac dans ce traité. Il indique en outre que la valeur de l’aberration attribuée par Souchon à Bessel (20''.000) ne figure dans aucune publication connue de lui. Mais Downing souligne l’abondance de notes très importantes de Souchon pour aplanir les difficultés mathématiques pour tous ceux qui étudient les calculs astronomiques. Quant à l’exposé du calcul des éphémérides de la deuxième partie, Downing souligne l’évidence que « M. Souchon is complete master of his subjects, at all events as far as their applications to the construction of the Connaissance des temps is concerned. »vi De même dans la troisième partie concernant les calculs pour les éclipses des satellites de Jupiter, Downing souligne de nouveau combien Souchon maîtrise ses sujets : « These subjects are gone into very fully and the application of the various formulæ illustrated by numerical examples. »

En résumé, si « the references to the Nautical Almanac in M. Souchon’s treatise are but few », et que le livre est avant tout un compagnon de la CDT, Downing « gladly acknowledge that the book is a very valuable one and supplies what has long been a want in the literature of astronomy »vii ; cette conclusion sera reprise dans le Bulletin astronomique — organe officiel de l’Observatoire — sans autre commentaire additionnel.

i. Rubrique « Acteurs » : https://cdt.imcce.fr/ ; voir aussi les notices biographiques complètes des calculateurs sur la page « Procès-verbaux du Bureau des longitudes » : Notices_Calculateurs_BDL_Site_des_PV .

ii. PV BDL, 11 octobre 1882.

iii. Liens vers les notices biographiques des calculateurs du BDL, op. cit. : rubrique « Acteurs » : https://cdt.imcce.fr/ ; sur le site des Procès-verbaux du BDL : Notices_Calculateurs_BDL_Site_des_PV .

iv. Adrien Germain, « Le premier méridien et la Connaissance des temps », Bull. Soc. Géographie, 6e série, Tome 9, 504-521, mai 1875. Disponible sur Gallica - URL : Bull_Soc_Géographie_Paris_AccèsAnnuel.

v. Souchon, 1883, Traité […], Paris, Gauthier-Villars, page VIII.

vi. A. M. W. Downing, The Observatory, 1885, vol. 8, n°102, 330.

vii. Ibid.