2. Astronomie pratique. Usage et composition de la Connaissance des temps, par Louis-Benjamin Francoeur (1830 et 1840)

Dans les catalogues de bibliographie du XIXe siècle (Gallica) l’ouvrage est vendu au prix de 7 francs et 50 centimes, ce qui en fait un livre assez cher (la CDT est alors vendue au prix de 5 francs).

 

 

Figure 3 : L.-B. Francœur et son Astronomie Pratique, 1840. [ © Francoeur sur Google Books-Edition 1830 ]

L’auteur et ses motivations

Louis-Benjamin Francœur (1773-1849) est issu d’une famille de musiciens célèbres de la Musique du Roi. Son père est directeur de l'Opéra et membre de l'Académie de musique. Il fait une partie de ses études à l'école de la rue Saint-Antoine, qui deviendra en 1804 le Lycée Charlemagne où il enseignera plus tard. En 1792, Francœur entre dans l'administration dirigée par son père, en qualité de sous-caissier. La Révolution lui fait perdre cette place et il entre en formation au génie militaire. Il se tourne alors vers les mathématiques et réussit à se faire admettre à l'École polytechnique où il étudie les mathématiques avec Gaspard Mongei. Il est de la même promotion que Jean-Baptiste Biot ou Louis Poinsot, futurs membres du Bureau des longitudes. À sa sortie, il est désigné pour l'École des géographes et du Cadastre, ce qui lui permet de demeurer à Paris et d'y donner des cours particuliers, notamment à Joseph Bonaparte, et de se livrer à l'étude de la botanique sous la direction de Desfontaines. Il échappe à la vie de géographe des armées grâce à Gaspard Prony qui le fait nommer en 1798 répétiteur du cours d'analyse de Lacroix à l’École polytechnique. Puis il est successivement professeur de mathématiques au Lycée Charlemagne, examinateur à l'École polytechnique, professeur à la faculté des sciences de Paris, et à ce titre publie divers ouvrages de mathématiques et d'astronomie. Souvent en déplacement en France et en Italie pour ses examens, la grande comète de 1811 l'incite à se perfectionner en astronomie et à enseigner cette science à l'Athénée. Les événements de 1815 lui font perdre ses places du Lycée Charlemagne et de Polytechnique. Francœur emploie ses « loisirs » forcés à la cause de l'instruction aussi bien pour le développement des sciences que pour celui de la musique et du chant dans les écoles élémentaires.

Francœur a fait partie de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale (dont il fut vice-président), du Comité des arts mécaniques, de la Société des méthodes d'enseignement. Il professa de 1817 à 1821 puis de 1822 à 1824 un cours d'astronomie à l'Athénée. Il fut nommé chevalier de la légion d'honneur en 1824. Il fut élu Maire de Viry-Châtillon (1839-1845), membre de la Société d'agriculture, des Académies de Saint-Pétersbourg, Lisbonne, Edimbourg, Rouen, Lyon, Toulouse, etc. Francoeur fut nommé en 1842 membre de l'Académie des sciences.

À partir de 1845 sa santé déclina rapidement. Atteint d'une maladie de la moelle épinière, il perdit la faculté de travailler, et décéda le 15 décembre 1849 à l’âge de 74 ans. Son fils Isidore Francœur (1803-1873) fut professeur à l’École des Beaux-Arts, au collège Charlemagne et à l'école primaire supérieure de la rue Neuve-Saint-Laurent. La veuve de celui-ci fit un don à l'Académie des sciences pour la fondation du prix Francœur.

Francœur a une très abondante production littéraire et plusieurs de ses ouvrages connaissent de multiples rééditions, parmi lesquels : le Traité de mécanique élémentaire (1800, cinq éditions) ; le Cours complet de mathématiques pures (1809, quatre éditions) ; les Éléments de statique (1810, deux éditions) ; l'Uranographie (1812, cinq éditions) ; la Géodésie (1835, deux éditions). Il a en outre collaboré activement au Dictionnaire technologique en trente-deux volumes, publié de 1822 à 1825 (dont il fut l’un des fondateurs et contributeurs), à l’Encyclopédie moderne de Courtin, à la Revue encyclopédique de Jullien (de Paris), etc.

Voilà donc un enseignant et un savant impliqué dans la diffusion des savoirs, comme l’ont été quelques-uns de nos astronomes, Lacaille et Lalande notamment, ses sources d’inspiration avouées comme nous allons le voir.

Francœur n’est pas inconnu du Bureau des longitudes. Évoluant déjà dans la sphère de l’École polytechnique représentée à l’Observatoire par nombre des membres du Bureau et des astronomes en poste (il connaît Jean-Baptiste Biot), il souhaite en 1825 qu’on lui confie la direction de l’Observatoire de l’École militaire tombant en décrépitudeii. Il collabore aussi aux tables de l’Annuaire du Bureau :

« M. Francoeur envoie une nouvelle table pour les marées qu'il propose de substituer à celle qui se trouve dans l'Annuaire. Cette table sera examinée par une commission composée de MM. Nicollet et Arago. »iii

Il signale des erreurs dans la CDT qui sont prises en compte :

« On parle d'une petite erreur que M. Francœur a remarquée dans les tables solaires de M. Bessel. Un errata la signalera dans la prochaine Connaissance des tems. »iv

Ou propose des améliorations qui sont examinées au Bureau lors de la parution de l’Astronomie pratique en mars 1830 :

« M. Arago rendra compte des améliorations à la Connaissance des tems que M. Francœur propose dans son nouvel ouvrage. »v


Francœur et le « Trésor des astronomes »

La composition en 1830 de l’Astronomie pratique. Usage et composition de la Connaissance des temps […] se situe entre plusieurs rééditions de son Uranographie ou Traité élémentaire d’astronomie (1e édition en 1810), et sa Géodésie (1e édition en 1835), ouvrages dans lesquels Francœur livre quelques techniques de pratiques du calcul astronomique. Si l’Uranographie se veut un ouvrage élémentaire « à l’usage des personnes peu versées en mathématiques », on verra aisément que la troisième partie de l’ouvrage « Applications de l’analyse à l’astronomie » exige du lecteur de solides connaissances mathématiques. Dans l’édition de 1821 de l’Uranographie que nous avons sous les yeux au moment de la rédaction de cette revue de presse, Francœur consacre déjà une assez longue partie à l’« usage de la Connaissance des Tems pour en tirer les données des calculs astronomiques » (397-468). Il s’agit ici d’expliquer rapidement comment exploiter quelques tables de la CDT pour calculer les positions de la Lune ou du Soleil, puis au gré des divers calculs exigés par les observations astronomiques, d’expliquer où chercher dans la CDT les données nécessaires. Cette partie s’achève sur le point astronomique et la détermination des longitudes en mer.

Les deux éditions (1830 et 1840) de l’Astronomie pratique sont dédiées à M. le chevalier H.C. Schumacher, « conseiller d’État du roi du Danemark », de l’Observatoire d’Altona. Il est en 1821 le fondateur de la revue astronomique de référence Astronomiches Nachrichten, qui existe toujours. L’ouvrage s’adresse « aux astronomes, aux marins et aux ingénieurs ». Conçu en 1830 pour ne faire appel qu’à un seul volume de la CDT, et donc ne s’appuyer que sur les tables permanentes des éphémérides, la réédition de 1840 élargit le propos. L’ouvrage tient désormais compte des modifications apportées au cours de l’année 1829 par le Bureau des longitudes tant sur les contenus de la CDT que sur la typographie et la commodité d’emploi des éphémérides, pour mieux rivaliser avec le Nautical Almanac concurrent.

Francœur est issu du sérail ; il ne faut pas s’étonner non plus de lire des éloges répétés du travail du Bureau des longitudes sur les améliorations permanentes apportées à la CDT :

« Les savants d’un mérite éminent qui composent le Bureau des longitudes n’ont pas voulu qu’une œuvre qui paraît sous leurs auspices, et avec leur approbation formelle, fût au-dessous de celles que les étrangers font paraître ; ils ont ordonné des modifications qui rendent cette publication utile aux astronomes de tous les pays. Déjà les étrangers l’ont appelé « le trésor des astronomes » ; les perfectionnements qu’on y a apportés lui méritent de plus en plus ce titre. »vi

Le premier compte-rendu sur cet ouvrage est donné à l’Académie des sciences par l’ingénieur-géographe et mathématicien Louis Puissant le 26 avril 1830. La conclusion de ce rapport est reprise un peu partout dans les gazettes de l’époque comme dans cet extrait de la Gazette Littéraire du 29 avril 1830 (Figure 4) :

 

 

Fig.4 : Effet de la réfraction atmosphérique sur la position apparente d’une étoile. Celle-ci est toujours perçue plus haut dans le ciel qu’elle n’est en réalité.

 

Francœur a donc su faire preuve d’originalité dans la présentation de travaux et de notions déjà connues. Voyons rapidement comment l’ouvrage est organisé et la teneur des améliorations que Francœur propose d’apporter à la CDT.

Composition de l’ouvrage (2e éd. 1840) et principaux contenus

Nous prenons l’édition de 1840, qui tient compte des modifications importantes apportées à la CDT par le Bureau au cours de l’année 1829, concernant l’adéquation de la CDT aux besoins des marins.

Dans sa préface, Francœur donne une histoire abrégée des éphémérides et de l’évolution de la CDT jusqu’en 1830, où il cite les calculateurs employés par son directeur du moment, Charles-Louis Largeteau : le chimiste et inventeur Marc-Antoine Gaudin et Joseph-Raymond Lebaillif-Mesnagervii.

Une introduction de 25 pages rappelle les formules de trigonométrie courantes, des règles élémentaires de calcul et des notions sur les étoiles et constellations.

Puis l’Astronomie pratique est divisée en trois parties :

Première partie : Nombres donnés dans la Connaissance des temps, leur signification et leur usage (p. 25-140)

Elle donne la description des tables et éphémérides telles qu’elles apparaissent alors dans la CDT et les techniques d’interpolation nécessaires pour les :

  • Éphémérides du Soleil, écliptique, équation du temps, heures sidérales, vraies et moyennes, etc.

  • Éphémérides de la Lune

  • Éphémérides des planètes et satellites de Jupiter

  • Distances lunaires

  • Réfractions astronomiques

  • Calcul des interpolations et différences logarithmiques

  • Catalogues d’étoiles

  • Positions géographiques

  • Phases lunaires, parallaxes et interpolations

  • La Figure de la Terre

 

Deuxième partie : Problèmes d’astronomie (p. 141-376)

Comme son titre l’indique, cette partie développe tous les calculs en usage en astronomie observationnelle de l’époque : les conversions entre les « espèces » (échelles) de temps, les passages des astres au méridien, les hauteurs correspondantes, la détermination de la latitude, le réglage des chronomètres, les prédictions des éclipses, les occultations d’étoiles, les distances lunaires, les marées, levers et couchers des astres, etc.

Notons que les distances lunaires sont ici présentées comme méthode de vérification de la bonne marche des chronomètres ce qu’elle sera réellement tout au long du XIXe siècle, contrairement à une idée encore trop répandue chez certains historiens de la navigation qui affirment encore que la question des longitudes en mer est résolue avec l’avènement des montres de marine à la fin du XVIIIe siècle. Il n’en est rienviii !

Troisième partie : Construction et usage des tables d’astronomie (p. 377-509)

Francœur revient ici sur les principes de construction des tables astronomiques par les astronomes qui préludent au calcul des éphémérides : tables du Soleil (377-390), tables de la Lune (391-395), des planètes (396-405), des comètes (406-414) ; puis développe les calculs permettant de « réduire les formules en tables » ; Enfin il revient sur la précession, la nutation et l’aberration et termine sur les calendriers et la gnomonique.

Suivent des tables astronomiques de Francœur (p. 511-528) puis quatre planches (pl. I – constellations ; pl. II à IV relatives aux problèmes d’astronomie de la seconde partie et à la gnomonique de la troisième partie) finissent de compléter l’ouvrage.

Non seulement Francœur expose de nouvelles méthodes mais il connaît la littérature astronomique de pointe qu’il peut synthétiser.

Chez les astronomes du Bureau des longitudes, ce sont surtout les pages concernant le calcul des interpolations (p. 96 à 107) qui sont remarquées et adoptées pour la CDT. Ainsi, la CDT de 1847 aux pages 219 et 220 fait directement usage des formules d’interpolations données par Francœur page 99 et de la manière dont il utilise et compare ce type de calculs en usage chez Bessel et chez Schumacher.

Nous n’irons pas plus loin dans la présentation de cet ouvrage qui, comparé à celui de Lalande, est beaucoup plus vaste et comporte de nombreuses notes critiques sur les techniques de calculs alors en usage. Le lecteur intéressé s’y plongera avec délices : c’est une mine d’informations sur les pratiques du calcul en cours dans l’astronomie du XIXe siècle et sur certains de ses fondamentaux !

i. Voir par exemple la notice d’Octave Callandreau, datant de 1897, écrite pour le centenaire de l’École polytechnique : http://www.sabix.org/bulletin/b5/francoeur.html par exemple.

ii. Procès-verbaux du Bureau des longitudes (PV BDL par la suite), 27 juillet 1825 [URL : http://bdl.ahp-numerique.fr/]. Au PV du 9 juillet 1834, on peut lire : « M. Arago rend compte de la visite qu'il a faite avec M. Daussy à l'observatoire de l'École militaire. Les trappes sont en mauvais état. On écrira à l'architecte de l'Observatoire pour qu'il s'occupe des réparations urgentes. À cette occasion, M. Arago fait part au Bureau de diverses demandes relatives à cet observatoire. L'état de la vue de M. Damoiseau ne lui permet plus de s'occuper des observations. M. Francœur avait témoigné à M. Arago le désir que le logement et les instruments de l'École militaire lui fussent confiés. M. Daussy fait pour lui-même la même demande au Bureau. »

iii. PV BDL, 22 juillet 1829.

iv. PV BDL, 30 septembre 1829.

v. PV BDL, 28 avril 1830. La dédicace de Francœur à l’attention de Schumacher est datée du 20 mars 1830.

vi. L.-B. Francœur, 1840, Astronomie pratique […], Paris, Bachelier, xj.

vii. Liens vers les notices biographiques des calculateurs du BDL, op. cit. : rubrique « Acteurs » : https://cdt.imcce.fr/ ; sur le site des Procès-verbaux du BDL : Notices_Calculateurs_BDL_Site_des_PV .

viii. G. Boistel, 2006, « De quelle précision a-t-on réellement besoin en mer ? […] », Histoire & Mesure, XXI-2, 121-156. URL : https://journals.openedition.org/histoiremesure/1748.