Paucton, Alexis
Né à Mayenne (La Baroche-Gondouin, près de Lassay) le 10 février 1732
Mort à Paris le 15 juin 1798
Un « mécontent »1, et un « père » de la métrologie scientifique moderne.
Remarqué par un ecclésiastique, c’est à partir de ses 18 ans qu’il fit ses études de mathématiques et de pilotage à Nantes où il dut manifester quelques talents si l’on en juge par la suite.
Puis il se rendit à Paris où il devint précepteur pour gagner quelques subsides.
En 1768 il publie une Théorie de la Vis d’Archimède […] avec la construction d’un nouveau lock ou sillomètre […] (Paris,J.-H. Bulard)[3] peut-être destiné à concourir pour un prix proposé par l’Académie de Berlin[4]. Il se fait très certainement connaître de l’Académie de sciences par son traité modèle publié en 1780, Métrologie ou Traité des mesures, poids et monnoies des anciens peuples & des modernes (Paris, Veuve Desaint)[5] , dans lequel Paucton défend l’idée d’une base métrologique [4] commune partagée par les peuples anciens, idée forte de l’époque[6].
En outre, Paucton suggère de rattacher les étalons métrologiques à des quantités prises dans la Nature; ainsi il propose un étalon de longueur lié de manière simple à la circonférence terrestre[7]. Cet ouvrage forge la métrologie scientifique [8] et a servi de canevas pour les traités qui ont été ensuite écrits sur le même sujet. Il est attesté que Lalande a contribué à cet ouvrage et l’a sans doute même encouragé [9].
Puis il publie en 1781, une Théorie des Lois de la Nature ou la Science des causes et des effets, suivie d’une dissertation sur les Pyramides d’Égypte (Paris, Veuve Desaint) dans lequel il poursuit ses considérations sur les normes de mesures antiques et tente de montrer que la coudée pharaonique se rattachait au degré de méridien terrestre [10].
Les qualités remarquables qu’il développe lui permettent d’obtenir ensuite une chaire de mathématiques à l’Université de Strasbourg, qu’il doit quitter rapidement suite au blocus des Autrichiens.
Il se rend alors à Dôle avec sa femme et ses trois enfants (deux filles et un garçon né en 1790) pour y enseigner toutes les matières chez un particulier (le sieur F.) pour une somme modeste et dans des conditions déplorables. qu’il fustige À cette occasion il publie un opuscule intitulé Défense contre le citoyen F[11].
En 1794, Paucton se fâche avec son logeur qui veut le payer en assignats hors de cours, ce qui anéantit son salaire et le plonge dans une maladie qui ne recueille même pas l’empathie du logeur si l’on en croit les propos de Édouard Doublet rapportés par Le Figaro[12].
De retour à Paris, il est recruté par Gaspard Prony pour calculer au Cadastre et c’est au sein de ce Bureau que Paucton produit des calculs pour la CDT, aux côtés de Lémery et de Lalande (qu’il connaît depuis les années 1775-76, rappelons-le).
D’une certaine manière « père » de la métrologie moderne, évoluant au beau milieu de la révolution métrologique et de la réforme des poids et mesures, Paucton est dans la foulée élu membre associé non résidant de la section des Arts méchaniques de la 1ère Classe de l’Institut national, le 28 février 1796 (9 Ventôse an IV)[13] et reçoit un secours de 3000 francs de la Convention.
Que se passe-t-il entre ce début 1796 et le début de l’année 1798 ? Nous ne le savons pas. Toujours est-il que Lalande témoigne, dans une lettre adressée au Baron de Zach, en janvier 1798, d’une situation institutionnelle embarrassante que Paucton aurait lui-même créée :
« Le citoyen Paucton dont j’ai fait connaître en 1780 la Métrologie, et qui veut maintenant l’améliorer pour en préparer une nouvelle édition n’a écrit que des bêtises sur le Système des Poids et Mesures ; il n’ose plus se montrer à l’Institut National. Je ne sais pas ce qu’il deviendra ; il est très pauvre, sa tête doit avoir souffert de chagrin et de besoin, comme La Harpe a souffert de sa peur » [14].
Ses conditions de vie doivent en effet de nouveau se dégrader rapidement car Paucton décède le 15 juin 1798 (27 prairial an VI), et, selon Lalande, « sans ressources, sans traitement [sic] qui le laisse au désespoir et à la mort. L’Institut est occupé à solliciter du secours auprès du Gouvernement pour sa veuve et ses enfants »[15].
Lalande explique par ailleurs à Zach que « Paucton, l’auteur de la Métrologie est mort dans la misère, mais c’est en partie de sa faute. S’il n’avait pas écrit des bêtises contre le nouveau système métrique [16], il aurait pu compter sur une assistance, alors qu’il s’est fait de tous les savants ses ennemis » [17] .
Paucton est mort un an avant que le mètre soit proclamé, lui qui avait milité pour forger sa métrologie sur la circonférence terrestre et en faire une mesure universelle[18].
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[1]. Selon la notice qui lui est consacrée dans Le Figaro, supplément littéraire du 16 avril 1910, par l’astronome Édouard Doublet.
[2]. Biographie nouvelle des Contemporains […], par A.V. Arnault et al., 1824, tome 16, p. 67.
[3]. Numérisé sur Gallica, BNF.
[4]. Ouvrage dans lequel Paucton propose de remplacer les rames d’un navire par des hélices, sans succès. Cet ouvrage a été examiné par Deparcieux pour l’Académie royale des sciences (29 juillet 1767). Deparcieux y note un mémoire sur la force des bois et des tables utiles aux constructeurs.
[5]. Numérisé sur Gallica, BNF. L’ouvrage fait plus de 940 pages. Il a été approuvé par le censeur royal Jean-Étienne Montucla qui a trouvé l’ouvrage « rempli de recherches curieuses & profondes » (9 octobre 1777). Une recension en est faite dans le Journal des sçavans, décembre 1780, p. 846-854, qui laisse entendre que Lalande (il est sans doute l’auteur de la recension…) aurait encouragé Paucton à travailler à cette Métrologie que lui-même n’avait pas le temps d’écrire. URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55491755.
[6]. Marie-Ange Cotteret, 2003, Métrologie et enseignement, thèse de doctorat en sciences de l’éducation, Université Paris 8, p. 175. L’ouvrage est recensé dans la Correspondance littéraire, philosophique et critique de Grimm et de Diderot, novembre 1780 ; si la recension est globalement élogieuse quant aux contenus de l’ouvrage, le style est jugé déplorable par Grimm et Diderot : « Le style en est plus que négligé ; il est souvent lâche, embarrassé, quelquefois emphatique et précieux […] Un tort qu’on aura plus de peine à pardonner à l’auteur, c’est de n’avoir pas su rassembler les différents résultats de ses savantes recherches d’une manière plus propre à faire sentir leur importance et toute l’utilité dont elles peuvent être dans l’étude de l’histoire et de la politique » (Corr. Litt. Phil. Crit. de Grimm et Diderot, tome X (1778-1781), Paris, Furne ; novembre 1780, p. 352-354). On retrouve ces critiques et la mention de nombreuses erreurs dans les traités de métrologie, sur les monnaies antiques publiés au début du XIXe siècle, où la Métrologie de Paucton demeure la référence à l’aune de laquelle se jugent les recherches sur les étalons anciens.
[7]. Marie-Ange Cotteret, 2003, op. cit., p. 80 et sq. Voir aussi Simon Schaffer, 2014, « Les cérémonies de la mesure : repenser l’histoire mondiale des sciences », XXXVIe Conférence Marc-Bloch, 3 juin 2014 (EHESS) ; URL : https://www.ehess.fr/sites/default/files/pagedebase/fichiers/2014_conference_marc_bloch.pdf. Voir aussi, Schaffer, S., 2015, « Les cérémonies de la mesure. Repenser l’histoire mondiale des sciences », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 70e année, no. 2, 2015, 409-435 ; URL : https://www.cairn.info/revue-annales-2015-2-page-409.htm.
[8]. C’est-à-dire ce qui étudie les unités, les étalons, les méthodes de mesure et calculs d’incertitudes.
[9]. Aux pages 839-845 de cette Métrologie, Paucton publie plusieurs extraits de lettres écrites par des savants étrangers à Lalande avec les détails des poids et mesures dans divers pays. Ce qui atteste des relations entre Lalande et Paucton dès les années 1775-76. Il est dès lors tout à fait normal de voir Paucton engagé par le Cadastre pour les calculs de la CDT et de lire une notice empreinte d’amitié et de compassion sous la plume de Lalande (infra). Voir Lalande, 1795, Abrégé d’astronomie, Paris, p. 296-297 : « Paucton a donné dans sa Métrologie les rapports des mesures étrangères avec la nôtre d’après les matériaux que j’avois rassemblés de toutes parts » (et Journal des sçavans, août 1789, p. 564). Voir aussi D. Triaire, 2012, « Lalande, Bernoulli, Poczobut… Lettres de savants de l’Ouest à des astronomes de l’Est », Revue d’histoire des sciences, 65/1, note 21. Enfin, cette Métrologie de Paucton fait partie de la liste des ouvrages se trouvant remis à Lapérouse « pour l’usage des officiers et des savants embarqués sous ses ordres » in Voyage de La Pérouse autour du Monde, Paris, Imprimerie de la République, 1797, tome 1, p. 250-255.
[10]. Lucien Gérardin, 1986, « La circonférence terrestre, étalon naturel de longueur selon la métrologie (1780) du mathématicien A. J.-P. Paucton », La Vie des Sciences, tome 3, n°3, p. 300-301.
[11]. Supplément littéraire du Figaro, 1910, op. cit.
[12]. Ibid.
[13]. Index biographique de l’Académie des sciences, 1979, Paris, Gauthier-Villars p. 405.
[14]. Lalandiana III. Jérôme Lalande. Lettres à F.X. Von Zach (1792-1804), S. Dumont et J.-C. Pecker (éds.), Paris, J. Vrin ; Lettres 24 (compilation), janvier 1798, p. 84.
[15]. Lalande, 1798, Magasin encyclopédique, « Histoire de l’astronomie », année 4, tome 5. Son fils Marie-Ignace Paucton (1790-1817 ?) éduqué à l’École Impériale des Arts et Métiers de Compiègne reçut une instruction industrielle de haut-niveau (promotion 1806), puisqu’il fut appelé par de La Rochefoucauld-Liancourt pour prendre la direction de la filature d’une de ses écoles [Moniteur Universel, 1806, vol. 37, n°273, 29 septembre 1806, plusieurs prix et accessits décernés à Ignace Paucton ; F. Dreyfus, Un philanthrope d’Autrefois. La Rochefoucauld-Liancourt (1747-1827), Paris, BNF, coll. « e-books » ; voir aussi Trélat M., 1862, Notice sur M. Pierre-Émile Partout, directeur de la Salpétrière, Paris, Cosson et Cie, p. 4 ; Partout était l’un des neveux d’Alexis Paucton].
[16]. Lalande ne précise malheureusement pas de quelles « bêtises » s’est rendu coupable Paucton aux yeux des savants, mais sans doute pouvons- nous inférer qu’il s’agit de discussions autour de la détermination de l’étalon de masse ou « pile de Charlemagne », dont Paucton a abondamment traité dans sa Métrologie en 1780, et qui est réexaminée en 1796-1798 par Borda, Lavoisier et confiée à la Monnaie de Paris. Voir Arthur Birembaut, 1959, « Les deux déterminations de l'unité de masse du système métrique », Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, Vol. 12, n°1, p. 25-54. Des discussions existent aussi en 1790, à l’aube de la formation de la Commission des Poids et Mesures sur les avantages comparés d’un étalon basé sur le degré de méridien (mesures géodésiques) ou sur la longueur du pendule qui bat la seconde ou la demi-seconde (mesures gravimétriques).
[17]. Lalandiana III, op. cit., Lettres 30 (compilation), le 25 juin 1798, p. 111. Il est aussi possible que les difficultés que Paucton rencontre à cette époque soient les conséquences de ses prises de position contre les idées de Newton (et donc contre celles de Laplace) affirmées dans son ouvrage de 1781, Théorie des lois de la nature, ou la Science des causes et des effets, suivie d'une dissertation sur les pyramides d'Égypte, par M. Paucton (Paris, Vve Desaint ; URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k30527052), d’inspiration néo-cartésienne (ses références vont de Descartes jusqu’à Dortous de Mairan – voir sa Préface), défendues par lui comme des vérités [Lalande, 1803, BA, 804 ; voir aussi Biographie nouvelle des contemporains, Arnault et al. (dir.), 1824, Paris, Librairie historique, tome 16, 67].
[18]. Ajoutons quelques compléments d’histoire familiale, de généalogie descendante : le 13 septembre 1785, Paucton épousa Joséphine Victoire Partout (née en 1766), lingère de métier à l’École des Arts et Métiers d’Angers [voir la note 26]. Ils eurent deux filles, mortes jeunes (Elisabeth et Victoire), et un fils Ignace Paucton (1790-1817) mécanicien en filature, employé par La Rochefoucauld-Liancourt. Ignace a épousé le 12 septembre 1815 Josèphe Ledoux (1797-1833), morte de la peste. Josèphe eut une fille, Marie Victoire Paucton (1818-1903).
Citation du texte: Guy Boistel , “Paucton, Alexis,” La connaissance des temps, consulté le 6 octobre 2024, https://cdt.imcce.fr/items/show/901.