Joseph Raymond (François Gabriel Émile) (LE)BAILLIF DE MESNAGER

Né à Port-au Prince le 27 novembre 1786 ou 13 mars 1787

Mort à Paris le 22 mars 1869

Les seuls éléments biographiques solides dont nous disposons sont de la main même de LeBaillif de Mesnager, et figurent dans la notice qu’il adresse au Ministère de l’Instruction publique pour ouvrir ses droits à une pension de retraite en 18591. Dans tous les documents officiels, l’orthographe de son nom est variable, ce qui rend son identification parfois hasardeuse…tantôt, M. de Mesnager, ou M. de Baillif de Mesnager ou Baillif-Mesnager, ou encore, Lebaillif de Mesnager, Lebaillif, voire Lebailli, etc. ; les confusions sont possibles et ont longtemps retardé l’identification de ce calculateur.

Voici donc le parcours d’un calculateur aux origines singulières.

Joseph-Raymond (Le)Baillif de Mesnager est né à Port-Au-Prince (Île de Saint-Domingue) le 27 novembre 1786, si l’on en croit ses propres indications (et non le 13 mars 1787 comme le pense le Président du BDL en 1842…). Il a pour aïeul, Nicolas Mesnager (1658-1714), dit le « Comte de Saint-Jean », avocat au Parlement de Rouen. Nicolas Mesnager est introduit par d’Aguesseau auprès de Louis XIV pour lequel il va réaliser quelques missions diplomatiques, dont la signature de la Paix d’Utrecht en 1713. À la mort de Nicolas Mesnager, c’est un cousin germain rouennais, Jacques Le Baillif, prêtre et licencié en théologie de la Sorbonne, qui releva son nom et ses armes selon des lettres patentes de 17222. Les deux noms furent dès lors accolés et transmis aux héritiers. Jacques Le Baillif-Mesnager devint chanoine de Rouen dans les années 1730.

Le père de notre calculateur, Marie-Louis (Le)Baillif (de) Mesnager (né en 1755), est dans les années 1760-70, capitaine aide-major du régiment de Port-au-Prince et son frère, Guillaume-Jacques, secrétaire du cabinet de Madame, sœur du Roi, et Gentilhomme de la Maison du Roi.

Blessé lors de la bataille de Savannah en 17793, Marie-Louis quitte le service actif et, en octobre 1781, il touche une pension de retraite de 500 livres sur le trésor royal (sur la Maison du Roi)4. Avec les années, sa pension n’est plus régulièrement payée ; son frère a fui avec le Roi à Varennes et doit quémander le paiement des arriérés. Joseph-Raymond a aussi un oncle, Jean-Georges Le Baillif de Mesnager, qui a été Gouverneur de Gorée entre 1766 et 1775. On voit donc que la famille a été mêlée à la gestion politique et militaire de possessions coloniales françaises de la fin du XVIIIe siècle et qu’elle est en partie liée à la Maison du Roi, sans être noble.

Les difficultés à se faire payer cette pension provoque le retour de la famille à Paris vers 1789-1790. Ils font partie des colons « spoliés » de leurs terres5. Marie-Louis Baillif de Mesnager entre à la loge maçonnique (saint-)Napoléon, fondée par le Grand-Orient de France, important nœud de sociabilité de l’époque ; il est attesté franc-maçon en 1808 et 18106.

On ne connaît pas le parcours de Joseph-Raymond Le Baillif avant son entrée au BDL en 1809. Sans doute profite-t-il du réseau maçonnique dans lequel évolue son père ? Ce n’est qu’une hypothèse de travail pour le moment. Lebaillif est recruté après le décès de Charles Haros, le 15 août 1809 après l’échec du recrutement de Desgranges, un ancien du Cadastre. C’est Bouvard qui met Lebaillif à l’essai le 30 août sans doute après une candidature spontanée. L’essai est concluant puisque le 4 octobre 1809, Bouvard propose une gratification de 100 francs pour le travail du mois précédent effectué par Lebaillif. Ce dernier satisfait le Bureau et Lebaillif est nommé calculateur officiellement le 29 août 1810 : « Le Bureau, sur le rapport fait par un de ses membres, confère à M. Bailli le Ménager le titre de calculateur en remplacement de M. Haros. »



« J’ai calculé 44 demi-volumes de la Connaissance des temps ».

Lebaillif fait son travail et on ne déplore aucun incident dans les procès-verbaux. Il prend des initiatives de calcul sur les tables de Damoiseau de Montfort notamment.

Le 28 décembre 1839, Arago transmet une lettre signée de tous les membres du Bureau qui « […] s’empressent de rendre témoignage de l’habileté, de la constance, du zèle infatigable dont Mr le Baillif de Mesnager a toujours fait preuve dans l’exercice de ses utiles et pénibles fonctions » afin qu’il puisse recevoir une décoration méritée :

« [...] J'ai l'honneur d'exposer à Votre Excellence que je suis depuis plus de 30 ans l'un des calculateurs de la Connaissance des temps que le bureau des longitudes publie annuellement pour l'usage des astronomes et des marins. Cet ouvrage qui a précédé les éphémérides de même nature que l'on trouve aujourd'hui chez les nations étrangères et qui leur a servi de modèle, jouit depuis longtemps d'une célébrité due au soin qui a constamment présidé à sa rédaction ; au grand nombre et surtout à la rare précision des documents qu'il renferme. Ces résultats exigent le travail le plus assidu, l'exactitude la plus scrupuleuse, et je puis vous assurer M. Le ministre, que les fonctions que je remplis depuis tant d'années sont pénibles et difficiles. Le soin que le Bureau des longitudes apporte à maintenir la Connaissance des temps au niveau des besoins toujours croissants de l'astronomie pratique et de la navigation a plus d'une fois augmenté la masse déjà si considérable de nos calculs ; dans ces circonstances j'ai redoublé de zèle et d'activité, j'ai cherché à améliorer les procédés de calcul pour obtenir tout à la fois plus de célérité et d'exactitude. En un mot j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour remplir convenablement la tâche qui m'était imposée et répondre à la confiance que l'on m'avait témoignée. Le sentiment de mes devoirs, l'espoir d'obtenir la croix d'honneur ont dirigé et soutenu mes efforts. Je serai heureux, M. Le ministre, Si mes travaux vous semblent dignes d'une récompense à laquelle j'attache un très grand prix et si vous croyez pouvoir proposer à Sa Majesté de m'accorder la décoration de la Légion d’honneur [...] »7

 

Au début des années 1840, le Bureau par la voix de l’Amiral Roussin ne tarit pas d’éloges quant au travail qu’effectue Lebaillif pour la CDT. Roussin s’en ouvre au ministre Montalivet dans une lettre datée du 12 mai 1842, pour appuyer à nouveau une demande de Légion d’honneur. Après avoir insisté sur la descendance en ligne directe de Nicolas LeBaillif-Mesnager, ministre de Louis XIV aux conférences d’Utrecht, Roussin loue les compétences de Lebaillif : « […] M. le Baillif de Mesnager continue de remplir avec distinction et assiduité des fonctions pénibles, faiblement rétribuées et qu’il est nécessaire d’honorer pour les faire rechercher par des hommes capables et consciencieux […] » 8. Lebaillif est finalement fait Chevalier de la Légion d’honneur par Ordonnance royale datée du 10 février 1845.

Sa fin de carrière est assez peu documentée. Le 28 février 1854, « M. Baillif de Mesnager est nommé calculateur près le Bureau des longitudes » au traitement de 3500 francs.

Il fait valoir ses droits à la retraite en janvier 1859. Par une lettre adressée au ministre de l’Instruction publique le 13 janvier 1859 par le Président du BDL, on apprend que Lebaillif de Mesnager est alors âgé de 72 ans et qu’il compte 50 années de calculs pour la CDT, l’une des trois plus longues carrières de calculateur du Bureau9. Ses droits à la retraite sont arrêtés au 20 janvier 1859.

Il décède le 22 mars 1869. Il était marié à Louise Romaine épouse Lebaillif de Mesnager (1798-1886)10. Ils ont leur tombe au cimetière du Père-Lachaise (Figure 3).

1. AN, fonds de l’Instruction publique : F17.23129, Personnels du Bureau des longitudes, dossier « Baillif de Mesnager ».

2. Précis analytique des travaux de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, 1871, p. 22-23, notes de bas de page.

3. Bataille ayant eu lieu pendant la Guerre d’Indépendance et connue pour sa légion de 800 « hommes libres de couleur » venue de Saint-Domingue et Haïti.

4. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM) COL E 265, Le Baillif de Mesnager, Marie-Louis. En 1787, la pension est révisée par le maréchal de Castries, ministre de la Marine.

5. AN F12.2826 pour les ayants droits des terres « spoliées », nous employons la terminologie du classement par les Archives nationales [on peut en effet s’interroger sur la notion de spoliation en matière de colonialisme…].

6. BNF, FM2 108 et FM2 559.

7. AN, F17.23129, Dossier « LeBaillif de Mesnager », lettre du 26 décembre 1839, de Lebaillif au Ministre de l’Instruction publique, contresignée par Arago.

8. AN, F17. 23129, lettre de l’amiral Roussin du 13 avril 1841 au ministre Montalivet.

9. Les autres plus longues carrières sont celle de Rocques-Desvallées (53 années) et Zoé-Louise Schmid (51 années).

10. « Ayants droits colons spoliés » : F/12/2826 et F/12/7630/A – Lebaillif a eu deux filles domiciliées à Paris en 1876 : Antoinette Caroline et Perrine Louise Aglaé (57 et 55 ans en 1874) (même cote AN).

Citation du texte: Guy Boistel, “Joseph Raymond (François Gabriel Émile) (LE)BAILLIF DE MESNAGER,” La connaissance des temps, consulté le 29 mars 2024, https://cdt.imcce.fr/items/show/584.