Période 1864-1914 : la professionnalisation des calculateurs de la Connaissance des temps

Le contrat d'édition (éphéméride et Annuaire) est transmis au libraire-imprimeur Gauthier-Villars en 1864 (volume de 1866) qui ne lâchera plus la Connaissance des temps jusqu’en 1979.

 

Note historique :

Claude-Louis Mathieu et Charles-Eugène Delaunay hébergent les calculateurs dans une maison leur appartenant située rue Notre-Dame des Champs. Le 1er avril 1863, Delaunay parvient à officialiser le « Bureau des calculs » ainsi de fait constitué et obtenir que le ministère de l’Instruction publique supporte le loyer de cette maison (1000 francs annuels) ainsi que les frais de fonctionnement (chauffage, papeterie, crayons, etc.). Les calculateurs sont placés sous la surveillance d’Ulysse Bouchet. C’est à cette époque que Camille Flammarion fait un passage de quelques mois au Bureau des longitudes après avoir été exclu de l’Observatoire...

En 1867, le Bureau entreprend de calculer et de publier la théorie de la Lune de Delaunay qui est une révision et une mise à jour significative des mouvements de cet astre, l’un des plus délicats de la mécanique céleste. Le Bureau autorise Delaunay à recruter de nombreux auxiliaires (jusqu’à une douzaine par an) pour les calculs de ses tables ; certains intègreront l’équipe des quatre calculateurs permanents de la Connaissance des temps. Les tables de Delaunay seront publiées au fur et à mesure et seront complètes au tout début du XXe siècle, 30 années plus tard…

La précision des éphémérides augmentent encore : le pas entre deux positions diminue, les interpolations sont meilleures. Le nombre de pages va passer de 500 à près de 1000 pages ! L’avertissement du volume de 1865 détaille bien les améliorations apportées.

De 1872 à 1905 Maurice Loewy, astronome viennois naturalisé français en 1884, assume la responsabilité de l’ouvrage qui va bien évoluer avec l'engagement de nombreux calculateurs dont l'anonymat va s'effacer progressivement.

Hervé Faye devenu Président du Bureau après le conflit avec la Prusse (il le restera jusqu’au début des années 1890, assurant une stabilité retrouvée au Bureau), obtient enfin des locaux en dur à la fin de l’année 1874 au sein du Palais de l’Institut quai Conti, avec le soutien de l’Académie des sciences. Le Bureau des longitudes peut alors imaginer loger plus confortablement ses calculateurs et organiser sa nouvelle bibliothèque de travail. L’inauguration des nouveaux locaux a lieu le 1er octobre 1875, le même jour que l’ouverture de son nouvel observatoire au Parc Montsouris placé sous la tutelle du Ministère de la Marine (pour la formation des officiers de l’École navale), de l’Armée de Terre (pour les officiers géodésiens), de la Ville de Paris (Ernest Mouchez a promis des cours gratuits d’astronomie…) et du Bureau des longitudes. Une nouvelle page de l’histoire du Bureau s’ouvre dans laquelle les officiers de l’Armée (Périer ; Bassot) et de la Marine (Mouchez, Pâris, Bouquet de la Grye, Guyou) affirment leur position.

Loewy, avec l’appui de Faye, sera l’artisan de la création en 1881 d’un véritable « Service des calculs », règlementé, avec progression de carrière pour les calculateurs, accès à la retraite, mais aussi maintien d’une discipline ferme sans perte de vue de l’objectif de publier une éphéméride de qualité au moins deux ans à l’avance. Des classes de calculateurs sont créées et ces calculateurs sont placés sous la responsabilité d’un « principal » qui peut devenir « superviseur » des calculs, véritable bras droit de Maurice Loewy (le seul à rendre compte en assemblée du Bureau des longitudes). L’équipe des calculateurs se stabilise à 4 ou 5 titulaires et de 4 à 6 auxiliaires dans les années 1880-1890. Les deux premières femmes à entrer comme calculatrice au Bureau sont Madame Schmid en 1884 (restera auxiliaire pendant toute sa carrière qui s’achève en 1920) et Madame Domer en 1897 (titularisée rapidement, elle finit sa carrière en 1936).

La part du budget du Bureau des longitudes consacré à la Connaissance des temps augmente. En 1818, 7500 francs étaient affectés à l’éphéméride sur les 99000 francs de fonctionnement du Bureau (8% du budget). En 1902, 120600 francs vont aux éphémérides sur les 272800 francs affectés au Bureau (soit 44%) du budget : augmentation du nombre de pages et des contenus, augmentation des personnels en nombre et en masse salariale, division de l’éphéméride et de son « Extrait ». Le Bureau s’est au fur et à mesure reconcentré sur sa mission première définie par le décret de Juin 1795, publier la Connaissance des temps et l’Annuaire… Mais la lecture des procès-verbaux du Bureau montre que ces orientations n’ont pas toujours été partagées au sein du Bureau et que les tractations budgétaires avec les ministères de tutelle n’ont pas toujours été simples…

La liste des planètes « télescopiques » continue à augmenter dans la Connaissance des temps. On en compte 56 en 1862, 84 en 1868, 100 en 1870, 110 en 1872, 120 en 1874, 138 en 1876, 187 en 1880, 213 en 1882, 249 en 1887, 301 en 1893 et 332 en 1896. Après 1896, les planètes « télescopiques » quittent la liste des planètes (comme Pluton quittera la liste des planètes en 2006) et une table de leurs éléments elliptiques est fournie (ainsi que pour les comètes). On publie les coordonnées rectilignes du Soleil à partir de 1864. La présentation change de façon à mettre plus de données dans le même nombre de pages. Les « Additions » diminuent pour des raisons budgétaires. Depuis 1862, la Connaissance des temps publie les positions géographiques des « principaux lieux de la Terre » ce qui représente une centaine de pages.

Il est intéressant de relever qu’il est rarement fait allusion aux événements politiques dans les avertissements de la Connaissance des temps même si ceux-ci ont un impact sur la publication. Ainsi, par exemple, il est seulement signalé que la parution du volume de 1871 en 1870 « a été retardée par les bombardements qu’a subi la ville de Paris » de même que le volume de 1872.

En 1885, presque cent ans après jour pour jour et pour les mêmes raisons qui ont conduit Méchain et l’Académie royale des sciences à publier une première partie de l’éphéméride à moindre coût en 1791, à la demande du ministre de la Marine, des Compagnies des Messageries Maritimes et des Officiers de l’École navale de Brest, est décidée la parution d'un Extrait de la Connaissance des temps à l'usage des navigateurs et des écoles d'hydrographie (1er volume de l'Extrait pour l'année 1889 ; Paris, 1887). Cette nouvelle éphéméride est dirigée par l'officier de Marine Jean-Jacques Bouquet de la Grye. La nouvelle éphéméride sera vendue au moindre coût pour les marins du commerce et comprendra une centaine de pages avec les distances lunaires et autres éléments utiles à la navigation (Marées, longitudes des ports, données géographiques).

En 1891, on ne publie plus seulement les éclipses des satellites de Jupiter mais aussi les occultations, passages et ombres en utilisant les tables de Woolhouse.

En 1893, on rappelle que tout est donné par rapport au méridien de Paris.

En 1896 se tient à Paris la conférence internationale sur les étoiles fondamentales, qui va modifier le contenu de la Connaissance des temps (principalement pour les étoiles) en adoptant les mêmes constantes que les éphémérides des autres pays. C’est le début d’une internationalisation de l’astronomie que le Bureau des longitudes accompagne en première ligne.

À partir de 1899, on publie des éléments pour le calcul des positions des satellites de Saturne, Uranus et Neptune, et on introduit en début d’ouvrage une liste des constantes astronomiques utiles, d’abord sur une page. Cette liste va être considérablement  augmentée pour arriver à 10 pages en 1914.

En 1901-1902, sollicité par les officiers et professeurs de l’École navale, notamment Émile Guyou, le Bureau s'interroge sur la pertinence de conserver les distances lunaires dans la Connaissance des temps alors que la méthode tombe en désuétude devant les méthodes alternatives réputées plus simples et plus directes (droite de hauteur de Sumner ; point Marcq Saint-Hilaire ; navigation sans logarithmes ; méthodes tabulaires ; etc.).

Les distances lunaires ne figurent plus dans la Connaissance des temps, ni dans son « Extrait ». A partir du volume de 1905 (Paris, 1903), la Connaissance des temps cesse d'être l'almanach nautique concurrent du Nautical Almanac tel que Lalande et ses successeurs l'avaient conçu à la fin des années 1760. Elles seront définitivement supprimées du Nautical Almanac anglais en 1907 et des éphémérides américaines en 1912 (The American Ephemeris and Nautical Almanac, Washington D.C.).

La liste des calculateurs de la Connaissance des temps est enfin donnée à partir du volume pour l'année 1904, comme la composition complète du Bureau des longitudes est donnée dans l'Annuaire de 1902.

Les deux calculateurs principaux de cette époque sont : Léopold Schulhof (de 1875 à 1915), autre transfuge viennois, ami de Loewy, plusieurs fois primé par l’Académie des sciences et auteur de plus de 200 mémoires scientifiques en plus de ses travaux pour le Bureau des calculs et des longitudes ; Henri Rocques-Desvallées (de 1881 à 1929) qui finira sa carrière comme calculateur honoraire.